Le sénateur Vincent Delahaye a de nouveau déposé au Sénat un amendement dans le cadre du projet de loi de finances pour 2026 (PLF) – peu modifié par rapport au précédent – qui vise à supprimer progressivement, sur 3 ans, l’exonération d’impôt sur le revenu de l’indemnité de résidence (IRE) allouée aux fonctionnaires civils et militaires en service à l’étranger.
La nouveauté réside dans la possibilité de déduire « sans limite » « les frais et charges » supportés par les agents, sur présentation de justificatifs. Cet amendement, présenté comme une mesure de transparence et de justice fiscales, repose sur une vision erronée de l’IRE et une méconnaissance totale des conditions d’expatriation des agents.
- Un nouvel amendement qui vise à l’imposition de l’IRE
Cet amendement reprend les orientations déjà présentées dans le précédent amendement de 2024 et les complète, cette année, par l’introduction d’un mécanisme de « déductibilité illimitée » des frais réels sur justificatifs. Il prévoit de fiscaliser progressivement l’indemnité de résidence à l’étranger (IRE) de la manière suivante :
- 34% pour les revenus 2025,
- 67% pour les revenus 2026,
- 100% à partir des revenus 2027.
Concrètement, cela signifie que les collègues déjà en poste à l’étranger se verront imposés d’un tiers sur les IRE perçues en 2025 !
L’an dernier, lors de nos échanges en réaction à son premier amendement, le sénateur Delahaye avait expliqué vouloir « corriger une iniquité de traitement » et évoquait déjà la possibilité de tenir compte de frais réels tels que le logement, la mutuelle ou la sécurité. Le nouvel amendement présenté ce 24 novembre s’inscrit clairement dans la continuité de cette logique. Et tout en prétendant corriger un dispositif, il introduit davantage de complexité que de justice, jusqu’à fragiliser même l’efficacité de la présence française à l’étranger.
Pour la CFDT-MAE, cette nouvelle attaque contre les agents du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères est parfaitement intolérable et cet amendement, qui méconnaît la finalité même de l’IRE, fait l’impasse sur les réalités des conditions d’expatriation des agents et de leurs familles (perte du salaire du conjoint…).
- L’IRE : une compensation forfaitaire, pas un supplément de salaire
Dans ce contexte, il est nécessaire de revenir à la nature même de l’IRE telle que définie par les textes. Selon le décret du 28 mars 1967, l’indemnité de résidence à l’étranger est destinée à compenser forfaitairement les charges liées aux fonctions exercées, aux conditions d’exercice de ces fonctions et aux conditions locales d’existence. Elle ne vise donc pas uniquement à couvrir des dépenses identifiables et facturables, mais englobe un ensemble de sujétions et de contraintes spécifiques au service de l’État à l’étranger. Ces sujétions et contraintes relèvent de l’exposition à des environnements parfois instables ou dégradés, de la pression sécuritaire, de la disponibilité accrue, de l’éloignement familial, des conditions d’existence dégradées, d’infrastructures limitées ou inexistantes, de l’exposition de la famille, du climat, de la pollution et des risques sanitaires, de l’isolement, des exigences propres à la représentation de l’État…
Ces éléments, qui font partie intégrante des missions exercées par les agents du réseau diplomatique, consulaire et culturel, ne sont pas un revenu, mais la compensation d’une contrainte imposée par l’État. Ils ne peuvent ni être mesurés, ni être documentés par des justificatifs, et ne sauraient être réduits à un traitement fiscal s’appuyant sur des reçus ou des factures. L’IRE a précisément été conçue comme une indemnité forfaitaire car la réalité de nos métiers ne peut pas être appréhendée par un système de remboursement de dépenses, surtout dans un réseau mondial où les conditions administratives locales varient profondément.
- Une réforme qui créerait davantage d’opacité
Remplacer la logique forfaitaire de l’IRE par un système imposé avec déductions illimitées reviendrait à instaurer une véritable « usine à gaz » fiscale :
• multiplication des justificatifs ;
• risques de contentieux ;
• disparités de traitement entre agents selon leur capacité à documenter leurs dépenses ;
• traduction des documents ;
• variations de change.
C’est pourquoi le dispositif proposé dans l’amendement, fondé sur la déductibilité de frais réels, apparaît inadapté et, dans de nombreux cas, inapplicable. Une grande partie des pays dans lesquels nos collègues exercent ne disposent pas de systèmes de facturation normalisés ; les dépenses courantes s’effectuent en liquide ; les prestataires ne sont pas fiscalisés ; les documents sont rédigés dans des langues locales et ne répondent à aucun standard vérifiable. Dans ces situations, même des frais réels et bien engagés ne pourraient pas être démontrés de manière satisfaisante, ce qui conduirait inévitablement à des impositions injustes.
Un tel dispositif introduirait en outre une inégalité profonde entre agents selon leur pays de résidence. Deux collègues confrontés à des conditions identiques pourraient être traités différemment au simple motif que l’un exerce dans un pays où la facturation est normalisée et l’autre dans un environnement où elle ne l’est pas. Une telle situation serait difficilement compatible avec l’égalité de traitement qui doit prévaloir entre agents de l’État.
Enfin, ce système ferait peser une charge administrative et juridique très lourde, tant pour les agents que pour l’administration fiscale, qui se verraient confrontés à des centaines de justificatifs en langues étrangères, hétérogènes, non vérifiables, parfois manuscrits, et émanant de structures économiques informelles. La multiplication potentielle des litiges n’est pas à négliger.
- Un risque réel pour l’attractivité des postes à l’étranger
En réduisant fortement, après impôt, l’indemnité de résidence servie dans certains pays particulièrement difficiles et dangereux et/ou excessivement chers, l’amendement pourrait fragiliser la capacité de la France à envoyer ses diplomates et ses personnels dans des postes où les conditions de vie et de travail restent peu attractives et même, dans certains cas, dissuasives.
- Plus que jamais, la CFDT-MAE est pleinement mobilisée
Dès la publication de cet amendement, la CFDT-MAE s’est mobilisée pour alerter les administrations et a saisi les parlementaires comme la Sénatrice Olivia Richard et le Sénateur Olivier Cadic, représentant les Français établis hors de France.
Nous avons également présenté à nos relais d’influence une analyse argumentée des risques opérationnels et juridiques que présenterait une telle réforme. Ce travail se poursuit actuellement afin que les spécificités du service public à l’étranger soient pleinement prises en compte dans les discussions parlementaires.
Par ailleurs, nous avons alerté les autorités en amont du comité social d’administration ministériel (CSAM) qui se tiendra les 11 et 12 décembre prochain.
Nous continuerons à suivre attentivement l’évolution de ce texte, qui nie les conditions particulières d’exercice de nos métiers, les conditions de vie et de travail et les charges supplémentaires liées à nos fonctions à l’étranger, et vous informerons à chaque étape. Notre objectif est clair : préserver un dispositif indispensable au fonctionnement du réseau de l’État à l’étranger et éviter une réforme inéquitable, impraticable et contraire à la philosophie même de l’IRE.