Editorial de Marcel Grignard – Syndicalisme hebdo n°3295 du 20 janvier 2011
Un immense espoir, mais aussi beaucoup de craintes. À l’heure d’écrire cet édito, un gouvernement de transition vient d’être nommé. Des membres de la société civile engagés dans le syndicalisme tunisien en ont très vite démissionné. On nous vole la révolution, disent les uns, devant la présence de membres de l’ancien gouvernement ; il ne pouvait en être autrement, disent les autres, après des décennies d’éradication de tout ce qui s’opposait au pouvoir du clan Ben Ali. Libération des prisonniers politiques, liberté de la presse sont les premiers pas vers une véritable démocratisation de la vie politique, dont l’évolution reste incertaine. Nous savons qu’elle sera difficile et prendra du temps.
On reste sans voix devant l’attitude du gouvernement français. Que dire quand les fondamentaux sont relégués à l’arrière-plan – au point de soutenir ce président tunisien qui faisait tirer pour tuer des manifestants ? Que dire quand la cécité conduit à plaquer l’image du Ben Ali de la transition de l’après-Bourguiba sur celle du despote qui a spolié son peuple avant d’être chassé par lui ?
Depuis la mi-décembre, la CFDT a pris fait et cause pour les travailleurs et le peuple tunisien. Elle l’a dit publiquement avec les autres organisations syndicales françaises. Elle a été présente dans les manifestations des Tunisiens de France. Elle a agi en lien permanent avec l’UGTT, la centrale syndicale tunisienne avec qui elle travaille depuis longtemps – travail se traduisant par des coopérations solides dans plusieurs secteurs professionnels.
Depuis le 17 décembre, à Sidi Bouzid, puis dans toute la Tunisie, l’UGTT a encadré et appuyé le mouvement social qui a abouti au départ de Ben Ali. Elle a appelé à la libération des prisonniers politiques et au respect des droits de l’homme. Il est d’autant plus important de le souligner que dans un pays comme la Tunisie, où le syndicalisme est la seule vraie force structurée de la société civile, l’autonomie syndicale relève d’un combat permanent qui peut conduire à la prison.
Nous nous sentons proches des travailleurs tunisiens parce que nous les côtoyons aussi sur le territoire national. Parce que, compte tenu de notre histoire, ce qui se passe de l’autre côté de la Méditerranée nous touche de près. Parce que quand des hommes et des femmes luttent au point d’y laisser leur vie, pour la démocratie et l’émancipation, pour des conditions de vie décentes et le recul de la corruption, ces combats nous concernent.
Souvent, le syndicalisme international nous paraît lointain et institutionnel. Émancipation des peuples, droits fondamentaux… trop souvent prononcés par routine. Et puis il y a des moments de l’histoire où l’on vérifie que les relations tissées, les coopérations engagées, les valeurs partagées font vivre un syndicalisme acteur indispensable au quotidien des moments cruciaux.