Lors du dernier comité social d’administration ministériel (CSAM) de mai dernier, la CFDT-MAE s’est adressée à l’administration à propos de la nouvelle doctrine d’emploi de l’intelligence artificielle (IA), déployée au sein du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, qui permet désormais aux agents, dotés d’un poste Éole, d’utiliser l’IA via des solutions mises en place par la DNUM.
Si la CFDT-MAE a salué les mesures d’information et d’accompagnement mises en place auprès des agents, dans le cadre du lancement des nouveaux outils IA de traduction et de transcription propres au Ministère, notre syndicat a également réaffirmé ses points d’attention et de vigilance, dans le prolongement de son intervention du 24 avril dernier à la réunion « Diplo IA ».
Il est essentiel de consulter et d’impliquer les personnels et leurs représentants dès la genèse des projets IA
Par ailleurs, notre organisation a rappelé qu’elle n’était pas opposée à la feuille de route de l’administration qui prévoit d’élargir le champ d’application de l’IA à d’autres domaines tels que celui des notes diplomatiques ou encore de la veille stratégique, à condition que l’ensemble des nouveaux projets liés à l’IA fassent l’objet de concertation et de négociation avec les personnels et leurs représentants tant dans le cadre d’un dialogue professionnel ouvert et constant que dans celui d’un dialogue social formel et informel de qualité.
- L’introduction de l’IA au ministère n’est pas un simple bond technologique
L’introduction de l’IA au ministère n’est pas une simple avancée technologique : elle est également, de manière inhérente, vecteur d’une transformation massive des métiers en général et de la plupart des emplois de notre Ministère qui affecteront les conditions de travail des agents. A cet égard, si certaines études mettent en avant les conséquences directes de l’IA sur les fonctions majoritairement occupées par les agents de catégorie C (secrétaires et assistants, gestionnaires administratifs, budgétaires et comptables, gestionnaires paye), voire pour certaines de catégorie B (gestionnaires, rédacteurs spécialisés ou techniques), d’autres enquêtes se focalisent plutôt sur les effets impactant les métiers exercés par les agents de catégorie A (rédacteurs « pays » ou thématiques, conseillers politiques ou presse). Mais toutes, d’une manière générale, mettent en exergue, à des degrés divers et des horizons plus ou moins rapprochés, l’impact certain sur les emplois d’aujourd’hui et plus encore de demain.
- Une transformation des métiers qui nécessite une vision stratégique RH
Cette révolution inquiète les agents dont les missions seront profondément modifiées, ce qui nécessitera d’avoir une vision stratégique en termes de ressources humaines sur le court, moyen et long terme.
Un impact de l’IA déjà prégnant pour les traducteurs et les personnels exerçant des fonctions de traduction à l’étranger
Au Ministère, force est de constater que les métiers les plus exposés dans l’immédiat par l’introduction de l’IA, en particulier générative, sont les emplois occupés par les collègues du corps des traducteurs et par les personnels qui, travaillant à l’étranger, ont conservé une forte activité de traduction au sein des services de presse et du suivi de la politique interne.
Bien qu’utiles, la CFDT-MAE considère que ces outils ne sauraient remplacer la traduction nuancée et contextualisée des traducteurs du Département
Si les agents ont accueilli favorablement la mise en service de deux nouveaux outils internes permettant d’assurer des transcriptions audio/vidéo vers du texte et des traductions quasiment instantanées de textes en français ou en langues étrangères, la CFDT-MAE considère que ces modules, certes utiles au quotidien, ne sauraient remplacer, dans le cadre d’une activité diplomatique exigeante et tout en nuance, la traduction fine, précise et contextualisée des collègues traducteurs.
Les rédacteurs en France et les conseillers politiques et presse à l’étranger devraient voir leur méthode de travail impactée par l’IA
A terme, d’autres agents de catégorie A, en particulier les rédacteurs en France et les conseillers politiques et presse à l’étranger pourraient ainsi, pour la première fois, être aussi impactés dans l’exercice de leur métier avec l’arrivée de l’IA. En effet, outre les tâches de traduction et de transcription déjà mentionnées, la génération automatique de synthèses de documents et de notes diverses (diplomatiques ou autres) devraient pouvoir être bientôt réalisées par une intelligence artificielle développée en interne, ce qui devrait bouleverser les méthodes de travail et les tâches effectuées par les agents concernés.
D’autres métiers pourraient être également concernés tels que ceux de la filière consulaire et de la filière d’information et de communication
De même, en fonction de l’évolution et de la montée en puissance des outils de DiploIA et sans prétendre, à ce stade, pouvoir être exhaustif, d’autres métiers pourraient être également concernés par l’utilisation de l’IA dans un avenir plus ou moins proche. Ainsi à titre d’exemple, nous pouvons citer, outre naturellement ceux exercées par les agents de la Direction du numérique (DNUM), les métiers des agents de la Direction des Français à l’étranger et de l’administration consulaire (DFAE) et ceux de la Direction de la communication et de la presse (DCP) qui, de part la spécificité de certaines des activités accomplies par les agents (échanges avec le public, recherche et traitement d’informations, rédaction et création de contenu, communication et analyse de données), pourraient fortement évoluer avec la prise en charge automatisée de plusieurs de ces tâches par l’IA.
- Un véritable plan de formation devra accompagner ces changements
A la faveur de cette révolution technologique et de la forte transformation des métiers qui en découlera, un véritable plan de formation DNUM de grande ampleur, intégrant la contrainte de la fracture numérique, devra être lancé pour accompagner tous ces changements profonds.
A l’étranger, l’administration pourra compter sur l’appui des ASIC et SESIC affectés dans les centres régionaux d’assistance des systèmes d’information et de communication (CRASIC) et sur celui des correspondants (et responsables) des systèmes d’information (CSI) et des agents ressources, sous réserve qu’ils soient eux-mêmes correctement formés, ce qui n’est pas le cas de tous à l’heure actuelle, comme l’a fait remarquer notre expert DNUM au cours de son intervention de mai dernier au CSAM.
- Une cartographie des postes de travail chamboulée ?
La modification des tâches confiées aux agents de toutes catégories entrainera possiblement un chamboulement de la cartographie actuelle des emplois. Si l’on considère que les tâches d’exécution et les opérations répétitives et chronophages pourraient être réalisées à l’avenir par l’IA, libérant ainsi du temps pour que les agents puissent se concentrer sur des missions à plus forte valeur ajoutée ; ce gain qualitatif ne devrait-il pas s’accompagner d’un mouvement général ascendant de transformation de postes de travail de la catégorie C vers la catégorie B et, dans une moindre mesure, de la catégorie B vers la catégorie A ?
- Un défi environnemental à relever et des enjeux de sécurité à intégrer
En outre, pour la CFDT-MAE, l’arrivée de l’IA soulève les deux problématiques suivantes :
- Un défi environnemental : comment l’administration entend-elle développer l’utilisation de l’IA sans démultiplier la consommation énergétique du MEAE qui promeut le respect de l’environnement via, entre autres, son programme « Ambassades vertes » ?
- Des enjeux de sécurité : l’usage de l’IA expose les agents à de nombreux risques : fuite de données, exploitation criminelle, deepfake, etc. Quid de leur responsabilité ? Qu’a prévu l’administration pour protéger, sensibiliser et former les agents ?
Notre Ministère, à la croisée des chemins technologique et « métier », devra anticiper, faire des choix et prendre des décisions liées à l’IA qui auront pour conséquences directes de remodeler le paysage des emplois de demain et les conditions de travail des agents. Dès lors, la CFDT-MAE attend de l’administration qu’elle nous fasse connaître sa vision stratégique sur la mise en œuvre de cette révolution technologique en cours et les moyens d’accompagnement afférents qui y seront consacrés.