Sous le titre “A l’Elysée, les prisonniers volontaires de Sarkozy cherchent à se recaser”, Arnaud Leparmentier, journaliste au Monde, fait état sur son blog du sauve-qui-peut actuel; “A 80 jours de l’élection, les conseillers plus jeunes sont inquiets. Prisonniers volontaires à l’Elysée, ils ne savent pas comment se recaser. « Si la gauche l’emporte, elle sera sectaire. Pouvons-nous nous permettre de prendre le risque d’attendre l’élection ? », s’affole l’un d’eux (…)
Le souci, c’est la cohorte des fonctionnaires, qui veulent valoriser leurs années à l’Elysée, mais qui craignent les purges et veulent faire oublier leurs attaches sarkozystes. Les diplomates cherchent une ambassade… loin du pouvoir parisien. Le temps de promotions éclair, à l’instar de celle de Boris Boillon, propulsé ambassadeur en Irak à 40 ans en 2009, est révolu. Le Quai d’Orsay est géré comme une « gérontocratie », accuse un jeune loup.
Le «gérontocrate» vous salue bien !
Eh oui, je dois me rendre à l’évidence, je suis un de ces « gérontocrates » qui ont mis insidieusement la main sur ce pauvre quai d’Orsay depuis des années, empêchant les jeunes et brillants collègues de faire don de leur corps et de leur cerveau à la France. J’ai plus de 50 ans, je n’ai jamais été digne de figurer dans aucune des éditions du trombinoscope des cabinets ministériels, de droite comme de gauche, encore moins du Château qui se trouve de l’autre coté de la Seine. J’ai 25 ans de carrière et je ne suis pas énarque mais un « Orient » passé au tour extérieur dans le corps de conseillers des affaires étrangères. Je n’ai donc jamais servi aux représentations permanentes de New York et Bruxelles mais déjà dans cinq pays différents dont certains n’ont pas été de tout repos. J’ai chopé le paludisme dans l’un d’entre eux et j’ai failli en mourir. Vous savez, ces pays que certains n’imaginent pas autrement que pour y résider trois semaines en vacance au « Club Med » ou à l’invitation du gouvernement local. Tout au long de cette obscure carrière j’ai également eu des postes de responsabilité, encadré des équipes, mis des plans de sécurité en action, participé au sauvetage de Français en difficulté, œuvré à des programmes de coopération et d’aide au développement. J’ai également été un brave rédacteur en direction politique au début de ma carrière et numéro deux dans une ambassade qui ne fait pas la une des journaux tous les matins et n’a pas l’honneur de recevoir régulièrement les élites économiques ou politiques de notre République. Bref, j’ai un peu honte de le dire, j’ai fait de mon mieux, j’ai beaucoup travaillé et beaucoup donné à ce « Département » que j’aime et qui, je dois le dire, a reconnu plusieurs fois mes mérites. J’ai ainsi la faiblesse de penser que j’ai servi honnêtement et efficacement la République et mes compatriotes.
Mais j’ai un défaut difficilement pardonnable, je ne suis pas dans le cercle du pouvoir actuel. Je n’ai pas traité les grandes affaires de ce monde ou veillé au salut de l’Europe, je n’ai pas sauvé la Géorgie d’une fin atroce, je n’ai pas travaillé nuit et jour au sauvetage de l’euro. Je n’ai pas aidé au rétablissement de la démocratie en Irak ni au sauvetage des infirmières bulgares. Je n’ai rien entrepris pour vendre nos avions Rafale à l’Inde, au Brésil ou aux Emirats.
Non, décidément rien de ce que j’ai pu faire ces dix dernières années ne me permet de prétendre à quelque responsabilité de premier plan dans ce ministère. Je suis comme les 95% de mes collègues diplomates de plus de 50 ans, ces « gérontocrates », ces obscurs fonctionnaires qui ne comprennent rien à rien, et surtout pas à la nouvelle diplomatie française qui éclaire l’Europe et n’ayons pas peur des mots, le monde.
Je suis de ces diplomates timorés, sans imagination, soucieux seulement du maintien de leurs privilèges et de leur carrière, vautré dans un confort insupportable aux Français qui se lèvent tôt, et je mobilise toute mon énergie à empêcher « les meilleurs d’entre nous » de 45 ans au plus à obtenir ce qu’ils estiment leur revenir de droit, c’est-à-dire les postes les plus prestigieux, les plus délicats aussi, ceux qui font appel à des qualités managériales, à l’expérience de la vie. Ces qualités dont on sait bien qu’elles s’acquièrent à 30 ans sous les lambris dorés des salons des ministères. Attention toutefois à ne pas confondre avec les postes les plus exposés ou difficiles à vivre, situés en gros au sud de l’Equateur ou à plus de trois heures de Paris par vol ETEC. Ceux-ci peuvent me revenir si je suis sage.
Pour les minables fantassins de la diplomatie et les « gérontocrates » obtus qui s’obstinent à ne rien comprendre des dangers du monde, un poste d’ambassadeur au Tadjikistan ou en Mongolie extérieure, c’est déjà bien payé. Et encore, l’idéal serait de confier les postes qui restent aux cadres du privé ou à des personnalités issues de la société civile. Comme disait notre ancien ministre French doctor, franchement, laisser les diplomates faire de la diplomatie, quelle ringardise !
Eh oui, depuis quelques temps les digues ont cédé. On ne s’interdit plus rien. On se voit ambassadeur au Brésil avec 10 ans d’ancienneté ou représentant de la France auprès de l’Union Européenne. On aurait tort de se gêner puisque maintenant tous les obscurs collègues sont au mieux des incompétents au pire des saboteurs.
Et puis après tout, quand on est un jeune énarque, conseiller des princes qui nous gouvernent, n’a-t’on pas le droit de recueillir, à la veille d’une éventuelle alternance politique, le fruit légitime d’un engagement et d’un dévouement sans faille ni état d’âme ? Après il sera peut-être trop tard lorsque ces « sectaires » auront investi la place et jouiront du pouvoir sans la retenue, l’expérience et le sens de l’Etat qui nous a caractérisés ces dernières années et qui légitiment aujourd’hui nos rêves de nouveaux horizons que les esprits mesquins considèrent injustement comme fous ou déplacés, pour ne pas dire incongrus et totalement scandaleux.
Mes chers jeunes collègues, vous êtes sans doute brillants, compétents, intelligents. Vous avez très certainement travaillé dur ces dernières années, comme nous tous, comme tous les collègues de ce ministère, qui, quelle que soit leur catégorie, leur grade et leur positionnement dans la hiérarchie, en centrale comme à l’étranger, ont dû travailler plus sans gagner plus sous le joug aveugle des RGPP, 1, 2, 3… soleil, avec toujours moins de moyens pour accomplir leur tâche.
Mes chers jeunes collègues, j’en terminerai en vous disant qu’à mon sens il ne vous manque qu’une seule chose pour être parfaits, une dose minimale de discernement et de modestie. Je vous souhaite de les acquérir au cours des prochaines années de votre carrière qui, j’en suis certain, ne pourra qu’être brillante.
Un gérontocrate