La CFDT-MAE a lu avec attention la présentation de la réforme de l’instruction des titres d’identité et de voyage pour les confier désormais au centre des titres d’identité et de voyage en centrale (CTIV), qui à son sens appelle plusieurs questions :
D’une part sur les objectifs de la réforme et les constats qui ont pu être à l’origine de ces recommandations, et d’autre part sur les conséquences de cette réforme sur la lutte contre la fraude, sur les usagers et sur les agents
Sur les objectifs de la réforme et les constats qui ont pu être à l’origine de ces recommandations
- Renforcer la détection de la fraude : la note de la DFAE le précise concernant France visas, « il n’est pas prévu de mettre en place un service centralisé d’instruction des demandes de visa. L’expertise de nos agents est plus que jamais nécessaire pour instruire les demandes de visa au plus près du terrain, notamment compte tenu de l’impératif de la détection de la fraude documentaire ». Pourquoi la même logique ne s’applique-t-elle pas à l’instruction des demandes de titres ?
- Sécuriser la chaîne de délivrance des titres en cloisonnant les fonctions d’instruction et de validation : cet objectif est aussi réalisable en poste (bonnes pratiques, blocage technique). A-t-on réellement constaté des problèmes de sécurisation ? Dans ce cas, il serait utile de savoir lesquels ?
- En ce qui concerne l’égalité de traitement des demandeurs et la standardisation du traitement des demandes dans le réseau : s’agissant d’une démarche qui est un droit dès lors qu’on remplit les conditions, parle-t-on d’une appréciation arbitraire des agents instructeurs ou de différences liées au contexte local (validité de certains documents, prégnance de la fraude, exactitude du registre, problèmes d’extranéité ?)
- Enfin, en ce qui concerne l’allègement du travail des postes : l’éloignement entre l’instructeur et l’usager risque au contraire d’alourdir le travail des agents chargés des recueils complémentaires. A-t-on réellement mesuré le gain de temps attendu ? On peut se référer à l’expérience des « pôles consulaires régionaux » mis en place en 2009-2010, qui se s’étaient révélés un échec en termes de productivité et de service aux usagers.
Sur les conséquences de cette réforme sur la lutte contre la fraude, sur les usagers et sur les agents
- Sur la fraude :
- A l’heure où la lutte contre la fraude est un objectif majeur du Département (et du gouvernement), cette réforme va dépouiller les postes de l’expertise liée à l’instruction des dossiers. Le recueil de demandes de TIV pourra être dévolu aux seuls ADL, qui ne disposeront plus de référents titulaires. Aujourd’hui, le CTIV apporte un soutien précieux aux postes dans la gestion de la fraude et des cas particuliers, en dialogue permanent avec les postes ; mais qui sera demain, localement, l’interlocuteur compétent pour le CTIV ?
- Il est à craindre que cette déresponsabilisation du poste n’entraîne une mécanisation du recueil (mais aussi et de l’instruction), et une perte de vigilance des agents qui recevront les demandes (comme on peut le constater dans les mairies), au lieu d’agents qui comprennent la finalité des contrôles qu’ils effectuent, qui connaissent les spécificités de leur registre, et qui travaillent en équipe avec les instructeurs et avec les agents de l’état civil. Sans parler de l’importance des acteurs locaux pour la lutte contre la fraude sociale, en plein développement en poste.
- Sur le service rendu aux usagers à l’heure de Service Public Plus :
- La référence aux CERT n’est pas rassurante : ces dernières années, aux délais de rendez-vous subis par les usagers en France, se sont ajoutés les délais de validation par les CERT, de plusieurs semaines parfois. Le CTIV valide actuellement dans des délais courts, mais de quelle capacité d’adaptation dispose-t-il en cas d’engorgement ?Un usager qui dépose sa demande de titre en mairie voit sa demande noyée parmi les milliers d’autres demandes traitées par des CERT en charge de plusieurs départements. L’agent de recueil n’est pas compétent pour gérer une situation particulière et n’a pas de contact privilégié avec le CERT pour signaler un cas.Aujourd’hui, le CTIV, dont la réactivité des agents est appréciée en poste sur les cas juridiquement complexes, est capable d’apporter une réponse personnalisée aux services qui en ont besoin, et de prendre en compte les spécificités de chaque pays. Qu’en sera-t-il demain, avec la gestion de trois fois plus de pays et de spécificités ?
- Ce n’est pas qu’un constat post Covid : depuis des années les postes sont plus performants que la France en matière de délivrance de titres, et ce même avec les délais de valise ; Il est dommage que cette excellence soit aujourd’hui menacée, au détriment de la communauté française.
- Sur les agents :
- En termes de charge de travail, le temps de validation est marginal comparé au temps nécessaire au recueil ; la réforme ne générera que peu de temps supplémentaire pour la réception, peut-être même pas du tout si on considère le surcroit des échanges nécessaires entre Centrale et poste.
- En bref, la logique de cette réforme n’est-elle pas uniquement financière, en remplaçant des postes de titulaires C par des postes d’ADL, et même à terme en externalisant le recueil des demandes de titres, ou en le numérisant en totalité ?
En conclusion, cette centralisation se traduit par un taylorisme aux deux bouts de la chaîne : du côté du recueil en poste, mais également du côté de l’instruction en Centrale, conduisant à une perte d’expertise et à une perte de sens de leur travail pour l’ensemble des agents de la chaîne.