L’universalité du réseau, que l’on peut définir comme le maintien d’une présence diplomatique dans tous les pays, est un concept en vogue depuis les débuts de la Révision générale des politiques publiques (RGPP). Début 2008, alors que la RGPP accélère la dégradation des moyens humains et budgétaires alloués au MAE, le ministre Bernard Kouchner prétend avoir « sauvé l’essentiel » en évitant le démantèlement des réseaux consulaire et culturel / coopération – convoités par le nouveau et très baroque ministère de l’immigration – et en préservant l’universalité du réseau.
Deux ministres plus tard et après quatre années de diminution régulière des crédits et de déflation galopante des effectifs, l’administration (1) puis le ministre d’Etat lui-même (2) commencent à douter à voix haute. A force de constater, année après année, que ce ministère « est à l’os », la question est maintenant posée de savoir si l’universalité du réseau est encore tenable. Sous-entendu : si l’on reste sur la même pente, on ne pourra plus éviter de fermer des représentations diplomatiques.
Les rédacteurs du projet de résolution d’orientation CFDT-MAE (2012-2015) ont souhaité que cette question essentielle vienne en débat lors du congrès. La question est évoquée au point 1-3-1 :
L’universalité du réseau – si l’on entend par là une présence diplomatique dans tous les pays – semble sur le point d’être remise en cause. La CFDT estime que l’universalité ne mérite pas d’être défendue à n’importe quel prix : alourdissement de la charge de travail et aggravation du stress.
La section CFDT-MAE de Nantes a saisi cette perche, a débattu de la question et a déposé une proposition d’amendement visant à supprimer purement et simplement le point 1-3-1. Lors du congrès, le 24 janvier 2012, Brigitte de Oliveira intervient à la tribune pour défendre cet amendement au nom de la section nantaise, avec deux arguments principaux :
– il n’appartient pas à une organisation syndicale telle que la nôtre d’aller au devant d’éventuelles demandes de l’administration ;
– n’oublions pas que dans tous les postes, il existe des équipes de recrutés locaux pour lesquelles d’éventuelles fermetures de poste auraient pour conséquence des licenciements secs.
La section de Nantes propose que soit votée une motion d’actualité sur le sujet (3) plutôt que de supprimer le point 1-3-1 :
L’universalité du réseau – si l’on entend par là une présence diplomatique dans tous les pays – semble sur le point d’être remise en cause. La CFDT estime que le réseau diplomatique, consulaire, culturel et de coopération doit au contraire être impérativement défendu. La CFDT se battra pour que soient donnés aux postes les moyens humains et financiers nécessaires. Une quinzaine de représentants au congrès s’inscrivent pour prendre tour à tour la parole et il y a consensus pour reconnaître que cette question constituera le débat principal au MAE dans les prochaines années.
Olivier da Silva (Madrid) fait valoir que même si la charge de travail, donc le stress, augmentent dans les postes et même s’il faudra bien adapter le réseau au manque de moyens, quatre arguments au moins plaident pour que la CFDT ne cautionne pas une remise en cause du principe d’universalité du réseau :
– la CFDT n’a pas pour vocation de cogérer la raréfaction des moyens ; nous n’avons pas à rentrer dans cette logique mortifère ;
– ce n’est pas en fermant des postes qu’on remédiera à l’accroissement de la charge du travail et au stress qui l’accompagne. Ce sera pire ! Pour preuve, les pôles consulaires auxquels on a transféré des missions mais pas les moyens nécessaires pour y faire face ;
– les dégâts seront multiples en cas de fermeture : dégâts sociaux déjà évoqués, dégâts en termes d’implantation (France Domaines ramassera la mise) et dégâts en termes politiques : si l’on part c’est définitif et on n’existe plus ;
– fermer des postes ce serait aussi remettre en cause la diplomatie bilatérale. Or les relations bilatérales permettent de connaitre nos interlocuteurs (souverains et dirigeants politiques, milieux économiques, histoire et culture de leur pays…) et de combattre les clichés. Sans cette relation le multilatéral pédalera à vide ;
– il faut prendre garde aussi à ne pas nous replier « sous la tente » diplomatique et consulaire et à ne pas laisser le réseau culturel et de coopération (EAF et IFRE) à la dérive.
Nathalie Berthy (Fès) fait remarquer a contrario qu’au nom de l’universalité du réseau on a vidé certains postes de leurs missions et que la présence française dans les « postes à mission simplifiée » – qui comptent souvent moins de 10 agents, y compris le personnel de la résidence -, est une « illusion d’optique ». Par ailleurs au nom de l’universalité du réseau on garde les petites ambassades et on continue à fermer des consulats (Haïfa) et à licencier des recrutés locaux.
Jean-Luc Lavaud (Paris) estime que la remise en cause de l’universalité du réseau n’est souhaitée ni par l’administration, ni par le politique mais qu’il s’agit de la seule parade vis-à-vis du ministère des finances, qui tire les ficelles. Fermer vingt petits postes ne permettrait même pas de renflouer une grosse ambassade (4).
Evelyne Poggi (Annaba) use de la métaphore pour faire remarquer qu’« à trop dégraisser le mammouth, on le rend anorexique ». La France a besoin, entre autres, de son réseau consulaire. Souhaite-t-on abandonner les Français à l’étranger ?
Nicolas Frelot (Paris) et Bernadette Marchal (Bogota) s’interrogent sur les conséquences que pourraient avoir pour le réseau MAE, l’émergence d’une diplomatie européenne (SEAE) et la redéfinition de la protection consulaire dans le cadre communautaire.
On retiendra du dernier tour de table, où interviennent également Bogdan Mytrowitch (Paris), Polycarpe Bafo (Ouagadougou) et Catherine Chauveau-Sochnikov :
– il faut bien sûr souhaiter le succès des politiques communautaires mais « attendons que ça marche et que nous ayons un outil de remplacement, avant de dynamiter ce que l’on a ». Pour l’heure on a encore besoin d’un réseau consulaire en Europe, ne serait-ce que pour les passeports biométriques ;
– la diplomatie multilatérale a pris une place démesurée ; il faut bien mesurer qu’il y a un pan du MAEE (les grandes ambassades multilatérales) qui ne défendra pas l’universalité du réseau
– le fait que l’universalité du réseau soit aussi une garantie de débouchés pour l’encadrement supérieur ne pose pas de problème à la CFDT, c’est un épiphénomène et « ça, on prend aussi ! ».
Au terme de ce débat, l’amendement est voté à l’unanimité des 591 mandats retirés en début de congrès et intégré à la résolution d’orientation 2012-2015.
(1) Déclaration du directeur général de l’administration lors du CTPM du 6 mai 2011.
(2) Intervention d’Alain Juppé au comité technique ministériel du 9 novembre 2011.
(3) Le congrès décidera finalement d’intégrer ce texte dans la résolution.
(4) Cet argument avait été développé par le secrétaire général du MAE en 2008 pour justifier … le principe d’universalité du réseau (ndr)