(Source : AFP, via “les amiantés du Tripode”)
“On ne se laissera pas enterrer” : douze ans après la destruction de la tour “Tripode” de Nantes, bourrée d’amiante, les agents de l’État qui y ont travaillé tentent toujours d'”arracher” la reconnaissance de leur exposition à cette fibre cancérigène, une “question de dignité”.
Immeuble de dix-huit étages inauguré en 1972 sur l’île Beaulieu à Nantes, le Tripode a vu défiler pendant vingt ans 1.800 fonctionnaires, issus de l’Insee, du Trésor public, du ministère des Affaires étrangères et d’un restaurant inter-administratif. Évacuée de ses occupants en 1993, délestée de 350 tonnes d’amiante, la tour sera rasée le 27 février 2005, laissant présager son classement rapide.
Une décennie plus tard, il n’en est toujours rien. Le ministère de la Fonction publique s’est bien engagé le 30 novembre à fournir une réponse “début 2017”. Mais depuis, c’est “silence radio”, constate Francis Judas, de l’intersyndicale CGT-CFDT-FO-Solidaires-Unsa des “amiantés du Tripode”, “déterminés à ne pas se laisser enterrer une deuxième ou une troisième fois”.
“Nos ministres des Finances et des Affaires étrangères attendent visiblement qu’on montre les muscles, c’est ce qu’on va faire”, promet M. Judas, aujourd’hui retraité, qui a passé 15 ans dans la tour farcie d’amiante comme agent de l’Insee.
– “Reconnaissance morale” –
Le 27 février, date anniversaire de la destruction du bâtiment un rassemblement des victimes et de leurs soutiens est prévu à l’arrêt de bus “Tripode”. Ils ont déjà acté de prolonger et de durcir leur mobilisation s’ils n’obtiennent pas de réponse le soir même.
Classer le Tripode en site amianté permettrait aux 20% des agents encore actifs -soit moins de 400 personnes- de bénéficier d’un départ en pré-retraite amiante. Le dispositif, en vigueur depuis 1999 dans le privé, devait être étendu dès 2015 aux fonctionnaires, mais l’arrêté ministériel n’a pas encore été pris.
“C’est une question de dignité, une reconnaissance morale par l’administration de sa vraie responsabilité dans ce désastre. Son refus dépasse l’entendement”, tonne Pierric Onillon, délégué CFDT aux Finances publiques.
Interdit depuis 1997, l’amiante serait responsable chaque année de plus de 3.000 décès. Selon les autorités sanitaires, le matériau isolant pourrait provoquer jusqu’à 100.000 décès d’ici à 2025, les maladies pouvant survenir jusqu’à 40 ans après l’exposition.
En 2007, les fonctionnaires du Tripode avaient occupé le nouveau bâtiment de l’Insee pour obtenir des examens médicaux par scanners à la place de simples radios pulmonaires. “Ça fait 35 ans qu’on se bat et on n’est pas fatigués”, assurait lundi un ex-agent lors d’une réunion d’information au ministère des Affaires étrangères.
– “Mort en sursis” –
Mais à l’heure où se joue le classement, l’intersyndicale accuse l’administration de “chercher à dissimuler l’ampleur de la catastrophe sanitaire”. Les griefs des élus syndicaux portent sur une étude de mortalité réalisée sous l’égide de l’Institut national de veille sanitaire, basée sur “55 décès d’agents Tripode entre 2007 et 2012”.
“Mais lors d’une réunion à Bercy, on nous explique qu’il y en a peut-être 138 car 83 personnes ont +disparu+ et on ne sait pas si elles sont mortes ou vivantes”, affirme Francis Judas.
“Une escroquerie pour minimiser le nombre de décès”, estime l’ex-délégué CGT, alors qu’un précédent rapport d’étape de cette même étude, rendu public en octobre par l’intersyndicale, avait mis en évidence que les agents du Tripode meurent en moyenne six ans plus tôt que des agents non exposés à l’amiante.
“Je me dis : combien de temps ? Je suis un mort en sursis”, témoigne Franck Morice, toujours actif aux Finances et dont le voisin de bureau a été l’un des “premiers décédés” non ouvriers, d’un mésothéliome.
Au Tripode, l’amiante “dégoulinait tous les jours du plafond, ça tombait dans les tasses à café, sur les listings manuels”, raconte-t-il.
Parallèlement à cette demande de reconnaissance, quelque 160 ex-agents du Tripode ont saisi le tribunal administratif de Nantes pour obtenir réparation de leur préjudice d’anxiété, en raison de leur “exposition massive à du flocage d’amiante dans des bureaux sans faux plafonds, un cas très rare”, souligne leur avocat, François Lafforgue.