Le droit à dénonciation des faits de harcèlement moral est garanti à l’agent qui en serait victime ou témoin par l’article 6 quinquiès de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983. En effet, cet article prévoit en particulier que «Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l’affectation et la mutation ne peut être prise à l’égard d’un fonctionnaire en prenant en considération […] le fait qu’il ait exercé un recours auprès d’un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements […] ou bien le fait qu’il ait témoigné de tels agissements ou qu’il les ait relatés […]».
Dans les faits, la procédure de dénonciation de tels faits demeure pourtant très délicate pour un agent public qui ne peut engager d’action en justice en ce domaine qu’en produisant un dossier très étayé pour apporter la preuve de ses accusations, le harcèlement moral relevant également du droit pénal [1]. En pratique, la distinction n’est pas toujours aisée entre des faits de harcèlement moral et d’autres types de souffrance au travail (mauvais management, stress au travail, conflits) qui ne relèvent pas de la loi.
De plus, ce droit à dénonciation entre en conflit avec le devoir de réserve [2] auquel tout agent public est astreint et qui l’expose à des sanctions en cas de manquement.
Le juge administratif a pu ainsi condamner l’agent accusateur pour manquement au devoir de réserve alors que le harcèlement n’était pas allégué, sans même examiner si l’agent était de bonne foi [3]. Même dans le cas de harcèlement reconnu et condamné pénalement, le juge administratif [4] a pu, en première instance, estimer que l’intéressé, en ayant relaté ses accusations dans la presse, avait manqué à son devoir de réserve et porté atteinte à la réputation du service public hospitalier. Heureusement, la Cour administrative d’appel de Marseille a rendu un arrêt [5] plus favorable à la victime de harcèlement en estimant que le discrédit jeté sur le centre hospitalier incriminé n’était pas injustifié.
Dans la constitution encore embryonnaire de la jurisprudence sur ce thème, le décret de la Cour administrative d’appel de Marseille est important car il admet une atténuation du devoir de réserve en considérant qu’ «un agent public ne peut être sanctionné lorsqu’il est amené à dénoncer publiquement des faits de harcèlement moral dont il est victime ou le témoin, même si la relation de tels faits est par elle-même de nature à jeter le discrédit sur l’administration». La CAA de Marseille précise toutefois qu’une procédure disciplinaire pourrait être engagée contre un agent public s’il se livrait «à des descriptions ou des critiques qui déborderaient, par leur tonalité ou leur contenu, le cadre dans lequel les faits de harcèlement moral se sont produits».
Cet arrêt constitue une avancée car il sécurise la mise en œuvre par un agent public de l’article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983.
[1] Le harcèlement moral est un délit pénal puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende. Une loi n° 2002-72 du 17 janvier 2002, qui s’applique aux agents publics comme aux salariés de droit privé, en a précisé les modalités de dénonciation.
[2] Le devoir de réserve est schématiquement défini comme « l’obligation faite aux [agents publics] d’user de mesure et de retenue à l’occasion de l’expression publique de leurs opinions, de manière à ce que l’extériorisation de ces opinions […] soit conforme aux intérêts du service public et à la dignité des fonctions occupées » (circulaire DAGEMO/BCG n° 99-01 du 5 janvier 1999, relative aux droits et obligations des fonctionnaires et agents publics de l’administration du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle dans leurs relations avec les médias).
[3] Le juge judiciaire a récemment adopté une position plus équilibrée en retenant cette notion de la bonne foi du salarié dans un cas de harcèlement non avéré.
[4] Décision du tribunal administratif de Montpellier du 7 avril 2009.
[5] 27 septembre 2011