Les agents du Ministère des Affaires Etrangères et Européennes auraient bien des raisons de participer eux aussi à la sinistrose, parfois militante y compris sur le plan littéraire, qui paraît s’être emparée de pans entiers du pays. Le bilan des ministres qui ces dernières années se sont succédé à la tête du Quai d’Orsay et singulièrement le dernier, serait à cet égard suffisamment désastreux : coupes sombres dans les effectifs, privatisation rampante de la coopération culturelle et technique, épuisement des Consulats, désarroi des diplomates, recul continu des crédits, dégradation physique des bâtiments, etc.
La liste serait longue mais, plus que le détail clinique des médecines amères administrées par les récents ministres, ce qui importe aujourd’hui c’est de reconstruire ce qui peut l’être et de redonner un sens et une direction à l’action des agents du Quai. Ces derniers ne manquent en effet ni de compétences, ni de courage, ni de patriotisme. Encore faut-il leur assigner des objectifs clairs et des moyens correspondants, ce qui suppose que des choix soient faits, au moins sur trois domaines essentiels.
Souhaitons-nous ainsi continuer à exercer une part d’influence dans le monde, notamment sur le terrain des idées, de la culture et de la recherche, où la place patiemment gagnée que la grande majorité des acteurs internationaux nous accorde encore va disparaître corps et biens si nous cessons d’agir ? Au moment où la désindustrialisation s’accélère dans notre pays comme dans le reste du Vieux Continent, la réponse à cette question n’est pas anodine et conditionne en retour les moyens que nous entendons mettre en regard. Une chose est sûre à ce stade : le transfert de la coopération technique à l’Agence Française de Développement, qui, quelles que soient les qualités de ses agents, est avant tout une banque, et celui de la coopération culturelle à l’agence commerciale culturelle incarnée par le tout nouvel Institut Français sont le fruit de choix dictés au mieux par la méconnaissance des enjeux, au pire par la volonté délibérée et idéologique de priver l’Etat de tout regard opérationnel sur ces secteurs stratégiques. Quant au réseau (payant, on rappellera ici que c’est la clef de son existence) des lycées français à l’étranger, chacun sait désormais que la gratuité décrétée pour une minorité significative est sur le point d’en remettre la pérennité en cause.
L’autre enjeu majeur est de savoir si nous voulons conserver un lien avec nos deux millions de compatriotes établis à l’étranger, dont le nombre est appelé à croître et dont beaucoup, parmi les plus brillants et entreprenants, n’ont pas renoncé à venir ou revenir vivre au pays, le plus souvent au plus grand bénéfice de ce dernier. Si tel est bien le cas, il est urgent, au vu de la tension extrême qui pèse sur nos Consulats, de s’assurer de l’administration courante de ces Français (passeports, cartes d’identité, état-civil, listes électorales pour 2012) et des moyens d’assurer la sécurité de ces personnes et de leurs biens, et pour ce faire de stopper l’hémorragie d’emplois qui le saigne à blanc. Jamais la contradiction n’aura été aussi flagrante entre la modestie des effectifs consulaires et la pression, volontiers relayée par les élus, exercée pour prodiguer aide et assistance à nos compatriotes résidents ou de passage à l’étranger. Quant à la délivrance des visas à l’étranger, on reconnaitra sans peine qu’elle relève d’une véritable politique d’influence sur la scène internationale, et non pas d’une banale organisation administrative, et que cet état de fait plaide depuis toujours en faveur de sa maîtrise par le réseau consulaire, dont les agents sont rompus à leur traitement et à leurs enjeux. En ce sens, l’attribution des visas à un autre ministère (après l’Immigration, l’Intérieur) apparaît comme une méprise administrative et, plus préoccupant, comme une erreur de jugement politique.
L’action diplomatique, enfin, mérite assurément mieux que la piètre estime chocolatée dans laquelle on semble, au plus haut niveau, vouloir la tenir. De deux choses l’une, en effet : soit l’on juge que la diplomatie et ses servants ne servent à rien, et alors il faut en tirer les conséquences, y compris sur le plan de la Défense Nationale, tant il est vrai que les outils militaires et diplomatiques sont indissolublement imbriqués, ce que toute personne au fait de ces questions ne peut feindre d’ignorer ; soit l’on considère que le monde est complexe et instable et que notre pays n’a pas renoncé à y faire entendre sa voix, sa singularité, pour tout dire son identité, et alors il faut cesser de réduire les Ambassades à une logistique hôtelière au bénéfice d’élus et de décideurs d’autant plus prompts à en dénoncer les ors, au vrai fatigués, qu’ils sont assurés d’en jouir à satiété et en toute discrétion. Il faudrait sans doute au passage rappeler que la diplomatie ne se réduit pas aux dossiers multilatéraux, aussi conséquents soient-ils, et que les relations bilatérales constituent encore aujourd’hui le sel et la trame des rapports entre les Etats. Quant au volet communautaire, il faudra bien tordre une bonne fois pour toutes le cou à l’illusion selon laquelle le nouveau service diplomatique européen rendrait sans objet l’existence d’un outil diplomatique national : pour prendre un exemple entre mille possibles, a-t-on entendu des voix sérieuses réclamer la disparition de l’Assemblée Nationale du fait de l’existence d’un Parlement européen ?
On l’aura compris, le Quai, comme d’autres institutions de la République, vit une crise sans précédent. C’est dire si vis-à-vis de leur nouvelle ministre les attentes des agents du Quai, qui n’ont pas perdu espoir, sont fortes, non seulement pour leur avenir mais plus encore pour celui de la représentation de leur pays qu’ils ne se résignent pas à voir disparaître de la scène internationale.