Laurent Fabius est venu rencontrer les syndicats réunis lors du comité technique ministériel, le 30 mai. Voici la déclaration du syndicat CFDT-MAE
“Monsieur le Ministre,
Nous avons déjà eu l’occasion de vous féliciter pour votre nomination par un courrier que nous vous avons adressé dès le 16 mai. Dans ce courrier, nous avons résumé nos priorités revendicatives et nous vous avons alerté sur un nouveau cas de nomination illégale d’ambassadeur. Nous espérons que ce courrier vous est bien parvenu. Peut-être avez-vous une réponse à nous apporter à ce sujet ?
Sur ce registre des parachutages, nous avons appris il y a quelques jours que le cabinet précédent avait enjoint à l’Institut Français (opérateur culturel du MAE) de créer un poste pour embaucher un délégué général à l’action culturelle internationale des collectivités d’outre-mer. Derrière ce titre ronflant, il y a une nomination de confort, pour répondre à une promesse hasardeuse faite par le Président de la République précédent. Cela doit cesser ! Les opérateurs du MAE ne doivent pas devenir des « fromages » de la République où l’on recase les amis du pouvoir.
Sur la politique de ce ministère en matière de gestion des ressources humaines, la CFDT est bien consciente qu’il est prématuré pour l’équipe gouvernementale de s’engager sur des orientations à moyen terme. Mais pour la CFDT les orientations ont été définies et votées lors de son congrès de janvier 2012. Je vais vous résumer nos principales revendications pour 2012-2015 et je vous propose de prendre date après le 17 juin. A ce moment-là vous aurez certainement les coudées plus franches pour vous engager sur la durée. De manière générale, la CFDT ne fera pas de surenchère en termes d’effectifs et de rémunération mais elle place la barre très haut pour un certain nombre de mesures qui ne sont pas nécessairement budgétivores.
La saignée des effectifs par une RGPP aveugle a commencé à saper l’universalité du réseau, avec la contraction du réseau consulaire et la classification des ambassades, dont plus d’un tiers est désormais « à mission allégée ». Disons-le clairement, cette tendance est mortifère, que ce soit pour la capacité du ministère à mener ses missions ou pour l’influence de notre pays. Nous souhaitons qu’avant toute décision ayant trait aux effectifs du MAE, vous donniez instruction aux services de mener une réflexion approfondie, en concertation avec les syndicats (prenant ainsi le contrepied de la RGPP, pour ce qui est de la méthode), sur les missions assignées au Département, sans oublier la place et le rôle des autres administrations de l’Etat présentes à l’étranger.
Le décret d’attribution du ministère de l’intérieur prévoit que ce ministère est responsable, conjointement avec le ministre des affaires étrangères et européennes, de la politique d’attribution des visas. Ce copier-coller du décret précédent pérennise la co-tutelle exercée par le ministère de l’intérieur et le MAE sur la politique de délivrance des visas. Le syndicat CFDT-MAE regrette cette disposition hâtive.
Cette co-tutelle, malheureux héritage de feu le ministère de l’immigration, fait porter sur le MAE un soupçon de laxisme en matière d’immigration légale, que les faits démentent. La CFDT demande que la répartition des missions entre le MAE et le ministère de l’intérieur soit réexaminée, avec pour objectif la mise en oeuvre d’une politique des visas cohérente, dépassionnée et pleinement intégrée au fonctionnement de nos consulats. Comme la société civile, qui condamne cette répartition des compétences entre MAE et Intérieur, qui date de l’époque où l’on avait trouvé utile de créer un ministère de l’identité nationale, la CFDT vous demande de vous positionner clairement et au besoin d’aller à l’arbitrage du Premier ministre pour que les décrets d’attribution soient revus et que la politique des visas redevienne une compétence exclusive du MAE.
Il faut qu’on vous explique, M. le Ministre, que près de la moitié des agents de ce ministère sont des agents de l’Etat français mais soumis au droit du travail local. Ces recrutés locaux vivent la précarité salariale. Nous avons appris brutalement, la semaine dernière, que votre administration avait l’intention d’amputer le rattrapage salarial au titre de l’inflation (coût-vie) pour les recrutés locaux, du montant de l’inflation en France (soit 2,1 % en 2012). Cette mesure absurde et injuste est très mal vécue par les agents. Le mouvement social et les grèves de l’année dernière ont laissé des traces et il n’en faudrait pas beaucoup pour que la mobilisation reprenne.
Vous n’y êtes évidemment pour rien – jusqu’à aujourd’hui – mais votre nomination risque d’être associée dans l’esprit des agents à ce coup très dur porté contre leur pouvoir d’achat.
Autre spécificité, ce ministère compte un nombre important d’agents contractuels. C’est pourquoi l’application de la loi Sauvadet sur la résorption de l’emploi précaire, dont les grandes lignes ont fait l’objet d’un accord signé par toutes les organisations syndicales et qui a été votée par la plupart des groupes parlementaires, est très attendue par nos collègues non-titulaires. Or pour l’instant le MAE est lanterne rouge des administrations de l’Etat. 20 postes au concours de titularisation pour 500 agents éligibles : c’est honteux ! Le MAE qui aime bien être le bon élève devant la DGAFP doit se donner les moyens d’appliquer de bonne foi la loi de résorption de la précarité.
La CFDT compte beaucoup sur la nouvelle équipe gouvernementale pour en finir avec le dogme de la performance et du salaire au mérite. La performance peut être récompensée par des réductions d’ancienneté dans les échelons, par des avancements au choix ou par des affectations. Elle ne doit pas se traduire par des bonnes ou mauvaises surprises sur le bulletin de salaire. La CFDT fait des propositions sur cette question consistant à « socler » la part au mérite (comme à Bercy) et à supprimer la prime de performance individuelle à l’étranger et la modulation des primes subie par les CMD.
La lutte contre toutes les formes de souffrance au travail est une des priorités de la CFDT. Après avoir insisté pour obtenir la mise en place d’un groupe de travail de prévention des risques psychosociaux, la CFDT a activement participé à la définition de la méthodologie. La CFDT salue l’avancement des travaux depuis sa reprise en mains, du côté de l’administration, par un chef de projet. Les travaux s’effectuent désormais dans le cadre d’un calendrier assorti d’une échéance claire, fin 2012. Notre syndicat continuera, sur ce dossier qui concerne toutes les catégories de personnels, à se montrer constructif au cours des travaux et vigilant ensuite sur la mise en œuvre du plan de prévention, pérenne et évolutif, qui en résultera.
Je termine avec le dialogue social mais c’est le sujet le plus important car il conditionne tous les autres, ceux que je viens d’évoquer mais aussi le temps de travail dans les postes à l’étranger, l’action sociale, l’avenir du réseau culturel, la promotion interne des agents…
Votre illustre prédécesseur, Hubert Védrine, avait accepté la proposition de la CFDT, au début de ce millénaire, de négocier et de signer un accord ministériel triennal pour instituer un embryon de dialogue social dans nos ambassades, nos consulats et nos centres culturels à l’étranger qui en étaient totalement dépourvus.
Dix ans après le premier accord-cadre, ce ministère est en train de rejoindre le droit commun. La loi sur la rénovation du dialogue social (votée à l’unanimité du Parlement) va s’appliquer dans le réseau du MAE avec la création de comités techniques dans les postes. La CFDT insiste pour que ce nouveau dispositif fasse l’objet d’un accord cadre ministériel avant que les textes réglementaires ne soient publiés. Nous souhaitons faire préciser à cette occasion que c’est bien le droit syndical de la fonction publique française qui s’applique dans nos implantations à l’étranger.
Autre chantier à ouvrir rapidement, celui des comités techniques et CHSCT à Paris. L’administration a refusé jusqu’ici avec obstination d’instituer ces instances de dialogue social de proximité pour les agents parisiens. La CFDT vous soumettra des propositions pour améliorer le dialogue social à l’administration centrale. Je reviens une seconde sur M. Védrine. Depuis son départ, en 2002, nous avons eu toutes sortes de ministres, plus ou moins brillants sur la scène internationale, mais aucun d’entre eux n’a été vraiment à la hauteur pour le dialogue social interne à cette maison. Ce sera là un vrai défi à relever pour vous…
Pour conclure, l’attente des agents est très forte – pour ceux qui ne sont pas déjà démotivés – après cinq ans de RGPP et de déflation des moyens. Comme l’écrivait M. Juppé dans son Livre Blanc sur la politique étrangère et européenne de la France en 2008, avant de redevenir MAE, « le MAE est à l’os ». A la CFDT nous ne craignons pas d’affirmer que l’outil diplomatique est au bord de la ruine et que vos prédécesseurs n’ont rien pu faire pour éviter l’hémorragie. En fait vous êtes le ministre des affaires étrangères de la dernière chance ! M. le Ministre, nous vous souhaitons bon courage. Votre tâche sera difficile mais la CFDT répondra présente pour proposer, pour négocier et pour accompagner la mise en œuvre des mesures que vous déciderez, si elles permettent d’améliorer les conditions de travail donc la motivation de nos collègues”.