“Monsieur le Ministre,
Vous avez tenu à nous faire, personnellement, une présentation, sans fard selon vos propres termes, de la situation budgétaire du Département pour les trois prochaines années. Nous vous en remercions. Notre propos sera lui aussi sans fard.Parmi les responsabilités exercées par les organisations syndicales figure celle de transmettre le ressenti des agents sur l’évolution du Ministère dont vous avez la charge. Vous êtes également un élu. Aussi pensons-nous qu’à ce double titre vous serez sensible à ce qui constitue l’état d’esprit de vos agents, tel que nous, à la CFDT, le percevons à travers les nombreux témoignages et interrogations qui nous parviennent.
Voici donc, Monsieur le ministre, ce que nous disent les agents, ce qu’en vérité vos agents vous disent à travers nous. Une très grande majorité d’agents du MAE sont, toutes catégories confondues, dans un état de crise permanent. Il en résulte des effets, préoccupants, sur les plans professionnel et parfois personnel, de désorientation, de déstabilisation, d’impossibilité de prévoir ou d’anticiper. On leur parle de la nécessité de faire des réformes, de suppression d’ETP et de coupes budgétaires, d’une révision des missions. Des informations circulent dans les couloirs, à la cantine, sur les messageries, quant à des projets de fermetures d’ambassades, de consulats, d’Instituts. Tout cela est profondément déstabilisant.
Pourtant, Monsieur le Ministre, les réformes, les agents connaissent, c’est même devenu une spécialité ces dernières années, jusqu’à l’overdose : les RGPP 1 puis 2, la fusion des SCAC et des Instituts, la création des pôles consulaires, l’invention du concept de poste à présence diplomatique, la professionnalisation de la gestion, les formations au management, l’administration électronique, et j’arrête là une liste qui n’en finirait pas d’égrener le titanesque effort d’adaptation qui a rythmé sans trêve ni repos les dernières années de vos agents, selon des modalités et une efficacité au demeurant parfois plus que contestables.Parmi les réformes encore à l’œuvre, deux retiennent particulièrement l’attention, et méritent qu’on s’y arrête quelques instants.
Ainsi de la création des postes d’agents ressources, opération RH qui par un tour de passe-passe à consisté à infliger au même agent, de catégorie C le plus souvent, des responsabilités multiples et hétérogènes de maintenance informatique et bureautique, de courrier, d’archives, de comptabilité, de questions consulaires, et, quand le temps et l’énergie n’ont pas encore été totalement consumés, de secrétariat. Disons-le franchement : cette forme d’exploitation des agents, sur des matières qui chacune requièrent une qualification à part entière et des effectifs en conséquence, ne peut pas être, humainement et administrativement, l’exemple d’une réponse souhaitable et durable aux contraintes créées par les RGPP.
Autre réforme en cours qui mérite elle aussi un zoom, la modernisation alléguée de la gestion des dossiers consulaires, selon deux modalités : la première prend la forme de l’essor d’un site dédié, “monconsulat.fr”, dont les thuriféraires paraissent avoir complètement oublié, ou négligé, que ce site, destiné à nos compatriotes, n’aura de sens et d’efficacité qu’à l’impérative condition que subsistent des agents pour traiter les demandes consulaires qui y sont exprimées; loin de répondre aux dramatiques effets des RGPP, “monconsulat.fr” a donc plutôt tendance à les aggraver. Ce n’est au demeurant pas surprenant puisque dans ce dossier comme pour tant d’autres on ne s’est pas attaché à la rationalité des demandes toujours plus complexes et exponentielles mais seulement aux façons d’y répondre avec des moyens dégradés. C’est le même raisonnement qui prévaut s’agissant des mallettes consulaires, sur le point d’être déployées dans le réseau, et qui, en apportant toute une panoplie de services consulaires quasiment à domicile à la demande d’élus ou de compatriotes tantôt isolés tantôt influents, vise à pallier simultanément la fermeture régulière de consulats et la baisse des effectifs. Là encore on semble ne pas s’apercevoir qu’il faudra du temps, des moyens en termes de frais de missions et des ETP qui, le temps de ces tournées garde-champêtre tambour village nouvelle manière, manqueront sinon cruellement à leur consulat.
Bref, il ne faudrait pas que ces initiatives se signalent davantage par leur aspect de communication de leurs promoteurs que par leurs conséquences pour les agents concernés, qui ne nous semblent pas avoir été toutes véritablement mesurées ou prises en compte. Tout cela conduit naturellement les agents à s’intéresser de très près à la question des ETP, plus précisément à leur suppression : 600, au cours des trois prochaines années, dont 184 dès 2013. Ce chiffre est colossal, Monsieur le Ministre, alors que le Quai a déjà tant donné…
Une institution de premier plan et son président, peu suspects de complaisance vis à vis du Département, rappelaient il y a peu encore qu’en 18 ans le MAE avait perdu plus du tiers de ses effectifs alors que dans le même temps les autres ministères conservaient, de façon consolidée, peu ou prou les leurs. Il s’agit du rapport de la Cour des Comptes, présenté par Philippe Séguin. De fait vos agents relèvent d’emblée que ces 600 emplois supprimés représentent moins qu’une goutte d’eau, à peine une molécule, dans l’océan des efforts demandés aux administrations d’Etat, mais constituent en revanche une véritable saignée à l’échelle du plafond d’emplois du Ministère. Ils constatent, enfin, que le nombre de prescripteurs de commandes, de services et de sollicitations s’accroît de façon inversement proportionnelle à celui d’agents auxquels ces demandes sont adressées. Ils s’interrogent aujourd’hui, plus encore qu’hier, et très logiquement vous en conviendrez, sur l’adéquation des moyens avec les missions que vous leur assignez. Vos agents apprennent en effet, au fil de l’eau, ou devinent, au hasard de leurs rencontres, que des réflexions seraient en cours sur le format du réseau diplomatique, sur l’avenir d’une partie des consulats, sur le portage de nos Instituts. Ils entendent parler, çà et là, informellement, de missions qui sont, seraient ou seront menées sur ces sujets, ils croient comprendre que des décisions seraient sur le point d’être arrêtées, des décisions qui engagent le réseau, qui les engagent, qui vous engagent.
Nous considérons, à la CFDT, que les réflexions sur les missions doivent précéder les décisions sur le format de leur exercice, et que le Quai ne peut plus se permettre d’être victime de l’effilochage de ses dispositifs et d’improviser sur ses moyens en conséquence. C’est pourquoi la CFDT vous demande aujourd’hui, formellement, d’être associée à ces exercices, qui concernent l’avenir professionnel de l’ensemble des agents.
Je ne voudrais pas terminer sans vous adresser un message, important, de vos agents : depuis trop longtemps, et singulièrement au cours de ces dernières années, nombre d’entre eux se sont sentis méprisés, dénigrés, moqués, parfois humiliés, et ce depuis les plus hautes sphères de l’Etat. Les nouvelles reformes en cours et l’effort budgétaire auxquels ils vont être à nouveau confrontés commencent à leur donner à croire qu’ils seront abandonnés. Il n’appartient qu’à vous, Monsieur le Ministre, de leur démontrer que tel n’est pas le cas”.
Pour la CFDT-MAE, Olivier Da Silva