Intervention de Laurent Berger Secrétaire général de la CFDT
Monsieur le Président, Monsieur le Premier Ministre, Mesdames et Messieurs les ministres,
Cette nouvelle conférence sociale revêt, pour la CFDT, une grande importance dans le contexte économique et social fortement dégradé que connait notre pays. De tous les territoires, de tous les secteurs professionnels, remontent l’inquiétude et le désarroi des salariés, par la voix des militants CFDT sur le terrain. 2013 est une année particulièrement difficile. La croissance est absente et les perspectives de relance de l’activité sont encore très incertaines. Les restructurations d’entreprises se poursuivent dans la plupart des secteurs de l’industrie, de l’agroalimentaire, des services. La précarité s’accroit de manière préoccupante et les chiffres du chômage s’aggravent de mois en mois.
Pour la CFDT, l’urgence est là. L’emploi est la priorité. L’emploi doit mobiliser toutes les énergies ! Plus de 5 millions de personnes sont touchées par la privation d’emploi. Près de 2 millions d’entre elles s’enfoncent douloureusement dans le chômage de longue durée. Derrière la froideur de ces chiffres, ce sont des milliers d’hommes et de femmes, de jeunes et de seniors frappés par la pauvreté, qui se débattent au quotidien. Cette dégradation a sérieusement accru la fragilité de nos systèmes de protection sociale alors même que ceux-ci doivent faire face à un afflux croissant de personnes à protéger.
La France traverse une lourde épreuve. Les salariés sont lucides sur la gravité de la situation. Ils sont conscients des efforts à fournir mais ils attendent des solutions concrètes à leurs difficultés. Ils veulent des réponses justes et efficaces pour reprendre confiance dans le présent et croire de nouveau au futur. La réduction de l’endettement public reste une nécessité pour la CFDT, la France doit cesser d’hypothéquer son avenir. Mais le rythme des efforts budgétaires imposé aux populations est trop sévère et devient contreproductif quand il pénalise l’investissement social et aggrave les difficultés des plus fragiles. Un modèle basé, dans le secteur public comme dans le privé, sur la pression sur les salaires, la précarité de l’emploi, la détérioration des conditions de travail n’est ni soutenable socialement, ni porteur de développement économique durable. Ce modèle a fait la démonstration de son échec.
La concurrence sociale à laquelle se livrent certains de nos voisins européens est une impasse pour l’Europe. Avec l’ensemble des organisations syndicales européennes, au travers de la Confédération européenne des syndicats, la CFDT dénonce cette dérive de dumping social et fait de l’obtention d’un socle social européen, un levier décisif de la relance de la croissance européenne.
La France doit choisir et imprimer une nouvelle stratégie : celle de la coopération européenne et d’une économie de qualité : qualité des emplois et de la vie au travail qualité des produits et des services, qualité de la protection sociale, qualité des relations sociales et économiques.
La France a déjà fait le choix de la sécurisation de l’emploi avec l’accord du 11 janvier 2013 repris par la loi. Il apporte de nouvelles sécurités aux plus fragiles en luttant contre les CDD abusifs et le temps partiel contraint. Il encadre les négociations dans les entreprises en difficultés. Il améliore la capacité de réactivité des entreprises face aux aléas conjoncturels, tout en sécurisant les parcours professionnels.
Cette dynamique portée par le dialogue social doit être poursuivie et renforcée pour bâtir un avenir de qualité pour tous. Cet avenir se construit d’abord dans le présent. C’est le défi d’une mobilisation générale en faveur de l’emploi que lance aujourd’hui avec force la CFDT. Ce défi exige d’amplifier l’action dans quatre directions.
– Relancer la croissance, accélérer l’émergence d’un nouveau modèle de développement. C’est un impératif pour notre économie. Les travaux paritaires auxquels la CFDT a activement participé sur « les nouveaux leviers de la croissance » doivent utilement y contribuer au moment où se dessinent de nouvelles filières d’activités.
– Enrichir en emplois la croissance. C’est l’enjeu du pari innovant du contrat de génération que doivent soutenir les entreprises et des mesures de sécurisation de l’emploi qui doivent maintenant entrer rapidement dans les faits.
– Faire de la formation professionnelle, au travers du nouveau socle du compte personnel de formation, un droit pour tous de se qualifier et de progresser professionnellement. C’est un nouvel atout pour l’emploi et la compétitivité des entreprises. Il nous faut corriger le déficit d’accès à la formation de ceux qui en ont le plus besoin et en particulier les demandeurs d’emploi et les salariés les moins qualifiés. Car au travers de cette inégalité d’accès, c’est un énorme potentiel humain dont se prive aujourd’hui toute la société.
– Enfin, mettre en place un plan d’urgence pour l’emploi qui mobilise et responsabilise tous les acteurs C’est se donner collectivement les moyens et l’objectif d’offrir une solution active à chaque demandeur d’emploi et prioritairement aux jeunes et aux chômeurs de longue durée. Fixer le cap mobilisateur de notre nouveau modèle de développement, mener l’offensive sur l’emploi. Cela requiert l’engagement de toutes les forces du pays. Cela implique un nouveau renforcement de la démocratie sociale
La conférence sociale de 2012, ses modalités, la mise en ouvre de sa feuille de route ont confirmé le rôle constructif du dialogue social. De nouveaux jalons ont été posés dans le cadre de l’accord sur la sécurisation de l’emploi. Le premier cycle de la mesure de la représentativité a permis d’affirmer la légitimité des organisations syndicales au niveau national interprofessionnel, dans les branches professionnelles et dans les régions. Ces avancées significatives doivent être suivies d’une nouvelle étape. Pour la CFDT, elle doit porter sur quatre axes :
Le premier est celui de la poursuite de l’amélioration de la représentativité des organisations syndicales et professionnelles indispensable au développement du dialogue social. Il s’agit de :
– Mettre rapidement en place des règles concernant la représentativité des organisations patronales.
– Mettre en ouvre la représentation collective des salariés des TPE.
– Réduire le nombre de branches professionnelles et rationnaliser leur organisation au regard de leur dynamisme contractuel.
Le deuxième axe concerne le développement du dialogue social. Il nécessite de : – Mener une concertation entre les partenaires sociaux et les pouvoirs publics sur la rationalisation des lieux de concertation.
– De même, il est indispensable d’engager une réflexion sur les lieux pertinents et articulés de la négociation collective dans la Fonction publique d’Etat.
Le troisième axe porte sur les moyens syndicaux dans et hors de l’entreprise ainsi que dans la Fonction publique Il nécessite de lancer une réflexion qui permette de :
– Faciliter et reconnaître le parcours des militants
– Accéder à la formation syndicale et à la prise en charge de son financement.
– Améliorer l’utilisation des crédits d’heures de délégation (mutualisation, lien de l’élu avec son organisation) et du budget du fonctionnement du comité d’entreprise ·
Enfin, le quatrième et dernier axe vise le financement du dialogue social et du syndicalisme au regard de ses différentes missions et des moyens mobilisés. Le financement du syndicalisme résulte de décisions successives sans cohérence globale. Elles ont pour conséquences de fortes inégalités, des moyens inadaptés et une mise en cause récurrente de la légitimité de certains financements qui fragilise les organisations parties prenantes du dialogue social.
Pour la CFDT, les cotisations doivent être la ressource principale de toutes les organisations syndicales. Elles sont le gage de l’autonomie syndicale et de la qualité de la démocratie sociale. Aujourd’hui, l’ensemble des entreprises bénéficient directement ou indirectement du travail réalisé dans le cadre du dialogue social alors qu’une grande partie d’entre elles ne participent pas à son financement. De même, le service d’intérêt général rendu par le syndicalisme n’est pas reconnu à travers un financement sinon au travers de la participation à des institutions ou sous des formes juridiquement peu solides.
Aussi, pour progresser dans la transparence et la clarification du financement syndical, la CFDT avance trois pistes de réflexion :
– Favoriser l’aide à la syndicalisation des salariés sous forme d’abondement de l’entreprise.
– Mettre en place un groupe de travail tripartite pour définir ce qui relève d’un financement du dialogue social mutualisé par les entreprises et ce qui relève de missions d’intérêt général financées par la collectivité.
– Engager une réflexion sur une contribution minimum des entreprises au financement du dialogue social.
En cohérence avec l’ensemble de ces propositions, je tiens à rappeler l’attachement de la CFDT à la constitutionnalisation du dialogue social afin que la démocratie sociale puisse pleinement jouer son rôle dans la construction des transformations nécessaires et contribuer au progrès social de tous.
Voici, Monsieur le Président, les grandes priorités que la CFDT a souhaité porter à votre attention.
La conférence sociale abordera d’autres sujets essentiels pour la CFDT et l’ensemble des salariés : la réelle prise en compte de la qualité de vie au travail et de l’égalité professionnelle, l’avenir de notre protection sociale et en particulier de nos retraites, enfin l’enjeu d’une véritable progression de l’Europe sociale.
L’ampleur des défis à relever, la gravité de la situation, la fragilisation de notre cohésion sociale et démocratique engagent tous les acteurs à faire preuve de responsabilité, de cohérence et de justice. C’est dans cet esprit d’exigence constructive que la CFDT contribuera activement aux travaux de cette nouvelle conférence sociale.